Les lieux de culte
Sur le plan religieux, Puka est une ville typique du nord de l’Albanie. Au Moyen-Âge, à une époque où la division entre le nord guègue et le sud tosque était très marquée -d’une certaine manière comme les pays d’Oc et d’Oïl en France- le nord était catholique et le sud orthodoxe. Puis, avec l’invasion par les Ottomans, l’Albanie a été islamisée, mais par différents courants : la majorité de la population est devenue sunnite, tandis qu’une minorité tout-à-fait avant-gardiste a été convertie au bektachisme, une branche moderne du chiisme typique des Balkans. Le bektachisme est caractéristique du sud de l’Albanie. Enfin, dans les montagnes du nord, les Alpes dinariques, l’islamisation a été moins aboutie. Pour toutes ces raisons, aujourd’hui une minorité des habitants de Puka est musulmane sunnite (30%), et l’autre partie est catholique (70%).
La communauté musulmane a une mosquée en plein centre-ville (Xhamia e Pukës), avec un minaret visible d’un peu partout. La communauté chrétienne a une chapelle à côté de son foyer, à l’ouest de la ville, dédiée à Saint-Jean-Baptiste (Shen Gjon Pagzuesi), et un couvent de sœurs à l’est, la congrégation Mère Teresa, qui possède sa propre petite église (Zoja e Paperlyer, Immaculée-Conception), assez moderne. Au sujet de Mère Teresa, il est intéressant de noter que cette sainte est omniprésente en Albanie, jusqu’à l’aéroport international de Tirana qui lui rend hommage, et même des villes albanophones de pays voisins la commémorent. Cet élément n’est peut-être pas explicable uniquement à la lumière de considérations chrétiennes, mais aussi pour des raisons bien politiques : Mère Teresa est une personne mondialement célèbre et saluée, et elle est née dans un Empire ottoman qui n’existe plus, il revient donc à ses successeurs de la revendiquer. Née en 1910 à Skopje, la future capitale de la Macédoine, sa famille est originaire du Kosovo. Catholique canonisée en 2016, elle est paradoxalement revendiquée à la fois par l’Albanie à majorité musulmane et la Macédoine à majorité orthodoxe. Les multiples hommages rendus en Albanie à Mère Teresa sont un moyen de revendiquer sa nationalité. À côté du foyer catholique est aussi construite une nouvelle église.
Cimetière mixte de Puka.
Au sud de Puka, coupé du centre-ville par le lac mineur et un bosquet, se trouve le cimetière. Il a la particularité d’accueillir à la fois des tombes musulmanes et chrétiennes. Traditionnellement, les tombes de familles catholiques sont regroupées à un seul endroit et séparées des autres religions, et une même tombe peut servir pour plusieurs membres de la famille, tandis que les tombes des musulmans peuvent être placées à tout endroit de la ville ou même en dehors, et ne servent toujours qu’une fois. Ces particularités ne sont pas visibles dans ce cimetière, car il a été établi sous le communisme après la déclaration de l’État athée, et le traitement différent en fonction des religions ne pouvait plus être envisagé. Le cimetière a été conservé en l’état après la chute du communisme, et les tombes, qui se ressemblent en tous points, avec cette caractéristique de toujours présenter un portrait du défunt enseveli, ne se distinguent guère que par la gravure d’un croissant ou d’une croix. Ce cimetière mixte témoigne de la bonne entente entre les communautés religieuses de Puka.
Les informations sur l’église Saint-Nicolas de Kçyra sont disponibles sur la page de ce site internet dédiée au Qendra AMT, ou en suivant ce lien
Les mémoriaux
À Puka, dans le centre-ville, se trouve un monument dressé sous la période du communisme, bien reconnaissable à l’étoile rouge à son sommet. Il commémore l’établissement, le 2 mars 1942, d’une organisation de la jeunesse antifasciste, quelques mois après la fondation du parti communiste albanais (le Parti du Travail d’Albanie, ou Partia e Punës e Shqipërisë). Ce mémorial témoigne bien de l’histoire idéalisée des partisans, les communistes qui auraient grâce à des guerrillas libéré l’Albanie de l’occupant italien puis allemand pendant la Seconde Guerre mondiale. La vérité est naturellement plus complexe, les communistes ayant dû trouver un équilibre pendant la guerre entre le combat des troupes de l’Axe et le combat des nationalistes du Front national (Ballis Kombëtar), et en même temps contenir l’influence des communistes yougoslaves de Josip Broz dit « Tito ».
Un peu à l’écart de la ville, à proximité de l’ancien hôtel réservé aux officiers militaires de l’Armée populaire d’Albanie, se situe le monument dédié aux Martyrs de la Nation (Dëshmorët e Kombit). Le terme de « martyr » est à l’origine religieux, puisqu’il était consacré aux premiers chrétiens qui étaient persécutés par les adeptes des religions en place, mais l’emploi du terme a été sécularisé et élargi à la défense à ses propres dépens d’une idée en général. En Albanie, sont considérés comme martyrs de la nation toutes les personnalités qui sont mortes pour l’indépendance du pays, indépendance qui, faut-il le rappeler, est l’une des plus récentes d’Europe puisqu’elle a été proclamée en 1912 seulement. Il est intéressant de constater que ces martyrs sont vénérés dans tout le pays, avec tant de dévotion que la principale avenue de Tirana, parfois surnommés les « Champs-Élysées albanais », leur est dédiée. Parmi les plus célèbres martyrs, on considère Qemal Stafa comme un symbole. Né en 1920, il est à compter parmi les membres fondateurs du parti communiste en 1941, à 21 ans, et a été tué l’année d’après par des militaires italiens. Le jour de sa mort, le 5 mai, a été choisi comme « Jour des Martyrs » (Dita e Dëshmorëve), et ce jour, quoique établi pendant la période communiste, lui a survécu et est encore commémoré aujourd’hui. Le maintien de cet événement annuel n’est peut-être pas sans rapport avec une rumeur selon laquelle Qemal Stafa n’aurait été trahi par autre que celui qui deviendra le futur dictateur de l’Albanie communiste, Enver Hoxha.
Enfin, dans la rue principale de Puka est dressée une statue en l’honneur de Millosh Gjergj Nikolla, connu sous son pseudonyme Migjeni (qui reprend le début de chaque partie de son nom complet). Né en 1911 à Shkodra, dans le nord de l’Italie, Migjeni était un enseignant dévoué, qui tous les jours effectuait le trajet entre son logement et l’école en vélo, quel que soit le temps. C’est ainsi qu’en se rendant en vélo à son établissement en hiver, il prit froid et déménagea à Puka pour sa guérison. Malheureusement, son état ne s’est pas amélioré et il est mort en 1938 en Italie, dans le Piémont. Migjeni a beaucoup critiqué le régime albanais contemporain, la monarchie du roi Zog, et la pauvreté que celle-ci engendrait. Pour cette raison, Migjeni a largement été repris par les communistes après la Seconde Guerre mondiale. Lors de la transition démocratique des années 1990 et 2000, Migjeni continue d’être honoré. La statue de bronze érigée en son honneur à Puka a été réalisée par Ardian Pepa, un peintre et sculpteur né à Fushë-Arrëz dans les environs de Puka. La statue a été réalisée grâce à la contribution de Fran Gjoka.