Histoire juridique de Puka
L’administration par la famille Dukagjini
Puka a pendant des siècles été un centre administratif et stratégique important sur le segment de la route du nord avec la liaison balkanique (Adriatique- Dardani- Danube de l’est). Aux XIVème et XVème siècles, à l’époque où les principautés albanaises luttaient pour la conservation de leur indépendance qui était menacée par les troupes ottomanes, Puka est gouvernée par les princes Dukagjin : Pal Dukagjini, puis ses fils Lekȅ et Nikoll. Cette famille noble, l’une des puissantes de l’Albanie féodale, aurait selon certaines hypothèses des ancêtres normands, « Dukagjini », ou en latin « Ducagini », pouvant provenir du nom français « Duc Jean ».
La domination de l’Empire ottoman sur l’Albanie est définitive avec la conquête turque de la possession vénitienne de Shkodra, dans le Nord du pays. Les héritiers de ces princes ont néanmoins gardé leurs hauts postes dans l’administration ottomane et ont continué de gouverner Puka avec un certain degré d’autonomie, en tant que dizdars, c’est-à-dire commandant de la place forte locale. Les Dukagjini se sont si bien intégrés que l’un d’eux, Dukakinzade Ahmed Pasha, est devenu au début du XVIème siècle gouverneur du Sandjak d’Albanie, puis grand vizir de l’Empire ottoman, une sorte de chef du gouvernement, et son fils Dukakinzade Mehmed Pasha a été gouverneur de l’Égypte au milieu du même siècle.
Le Kanun
La tradition juridique populaire continue au XVème siècle avec le nom de Lekë Dukagjini, en fait Lekë III Dukagjini (« Lekë » est une abréviation d’ « Alexandre »). Lekë Dukagjini a combattu aux côtés de Georges Catriot, dit Skanderbeg, le héros national albanais encore célébré aujourd’hui comme symbole de l’indépendance nationale. Skanderbeg a mené des campagnes militaires de défense de l’Albanie contre les envahisseurs ottomans -et dans une moindre mesure vénitiens. Après la mort de Skanderbeg, Lekë Dukagjini a tenté de poursuivre son œuvre mais ses succès ont été mitigés, notamment parce qu’il n’est pas parvenu à unifier tous les Albanais à ses côtés.
En revanche, il reste connu pour avoir codifié les normes coutumières, non écrites, qui régulaient le quotidien des albanais. Le recueil de ces règles est connu sous le nom de Kanun, aussi nommé « Kanuni i Lekë Dukagjinit », Kanun de Lekë Dukagjini, pour le distinguer des six versions qui sont issues de ce premier jet dont une version typique de Puka et dite Kanuni i Pukës. (la variante de Puka, a été rééditée dans sa version intégrale en 1997 et fait environ 300 pages). Le Kanun a eu une grande importance dans toute l’Albanie septentrionale, y compris dans les territoires albanophones du Monténégro, du Kosovo et de Macédoine. Ce texte s’est répandu dans ces régions plus facilement qu’en Albanie méridionale en raison des différences linguistiques, avec dans l’Albanie du Nord un dialecte, le guègue (gegnisht), et dans le Sud un autre, le tosque (toskërishte). Le Kanun régule de nombreux domaines comme le mariage, l’économie, la propriété, et s’applique aussi bien aux chrétiens qu’aux musulmans. Il a été appliqué sous l’Empire ottoman, a semblé disparaître au XXème siècle sous le régime communiste pour réémerger dans les années 1990 lorsque l’État albanais s’est trouvé momentanément en état de déliquescence. Les anthropologues y ont prêté beaucoup d’attention notamment pour les normes qu’il pose en matière de vendettas, qui mettent fortement l’accent sur les questions d’honneur, individuel (« besa ») et collectif (« nderi »). Au XXème siècle, l’un des instituteurs du district de Puka, Shtjefën Gjeçov Kryeziut, a édité une nouvelle version du Kanun,.